« Maman, est-ce qu’il y aura classe demain? »
-une fillette à Port-au-Prince, le soir du tremblement de terre du 12 janvier 2010
C’est sur les mots de cette petite fille qui pensait déjà au lendemain que Dany Laferrière a conclu la Soirée bénéfice Étonnants voyageurs de vendredi dernier à la Librairie Olivieri, qui donnait tout un sens aux paroles que nous avions vues circuler dans les médias quelques semaines plus tôt: «Ne laisse pas tomber, c’est la culture qui nous sauvera. Fais ce que tu sais faire». (Dany Laferrière s’adressant à Frankétienne)
Je crois que nous avons tous un peu écarquillé les yeux lorsque nous avons appris à la toute fin que l’événement, qui faisait plus que salle comble, a permis d’amasser 10 400$ pour le CECI!!! Comme disais encore une fois Dany Laferrière, « nous les poètes, ne sommes pas habitués à voir autant de monde! »

C’est avec privilège que nous avons vu défiler devant nous une vingtaine de poètes et d’écrivains, lisant des textes d’auteurs haïtiens. Touchant nos oreilles et notre coeur, pour n’en nommer que quelques uns: Nicolas Dickner (dont je vous invite à aller lire ce beau texte intitulé « La boîte de Rodney ») lisant du Jacques Roumain; la poète Laure Morali (dont je vous suggère l’excellent recueil La terre cet animal); Joujou Turenne, qui a lu des extraits de l’oeuvre du regretté Georges Anglade; le poète Joël Des Rosiers lisant du Gérard Étienne; la poète Louise Warren lisant du Davertige; la comédienne Pascale Montpetit récitant le célèbre Émile Ollivier; Stanley Péan, Hélène Dorion récitant des poèmes de Rodney Saint-Éloi, et j’en passe…
Pour être franche, j’ai rarement vu une écoute aussi attentive et respectueuse lors d’une soirée littéraire! Les moments marquants de la soirée, à mon avis, ont été lorsque l’on nous a lu un cri de détresse d’Haïti daté du 2 février, lorsque Rodney Saint-Éloi nous a lu Frankétienne, lorsque le poème « Nuit d’hôpital » nous a été récité par Dany Lafferière et lorsque Maka Kotto nous a lu un extrait de l’Énigme du retour.
Nous étions heureux de participer à cette soirée, où l’on nous a rappelé comment les mots pouvaient être puissants, où ce vers de Gary Klang, « il est grand temps de rallumer les étoiles », résonnait et prenait tout son sens. Je suis revenue chez moi, ce soir-là, avec le goût du vin et d’une délicieuse bisque de crabe surmontée de chantilly au rhum en bouche… mais surtout, avec l’envie de découvrir davantage de littérature haïtienne.
Il y a un mois aujourd’hui même, la terre tremblait à Haïti.
Il est grand temps de rallumer les étoiles.
– Gary Klang
Pour que vous puissiez vous aussi prendre part à cette soirée, voici en terminant un passage qui nous a été lu par Maka Kotto de l’Énigme du retour de Dany Laferrière:
Il arrive toujours ce moment. /Le moment de partir. /On peut bien traîner encore un peu /à faire des adieux inutiles et à ramasser /des choses qu’on jettera en chemin. /Le moment nous regarde /et on sait qu’il ne reculera pas.
L’instant du départ nous attend à la porte. /Comme quelque chose dont on sent la présence /mais qu’on ne peut toucher. /Dans la réalité il prend l’aspect d’une valise.
Le temps passé ailleurs que /dans son village natal /est un temps qui ne peut être mesuré. /Un temps hors du temps inscrit/ dans nos gènes.
Seule une mère peut tenir pareil compte. /La mienne a fait pendant trente-deux ans /sur un calendrier Esso /une croix sur chaque jour /passé sans me voir.
[…]
Les visages autrefois aimés s’effacent /au fil des jours de notre mémoire brûlée. /Le drame de ne plus reconnaître /même ceux qui nous furent proches. /L’herbe repousse, après l’incendie, /afin de camoufler toute trace du sinistre.
En fait, la véritable opposition n’est pas /entre les pays, si différents soient-ils, /mais entre ceux qui ont l’habitude /de vivre sous d’autres latitudes /(même dans une condition d’infériorité) /et ceux qui n’ont jamais fait face /à une culture autre que la leur.
Seul le voyage sans billet de retour /peut nous sauver de la famille, du sang /et de l’esprit de clocher. /Ceux qui n’ont jamais quitté leur village /s’installent dans un temps immobile /qui peut se révéler, à la longue, /nocif pour le caractère.
Pour les trois quarts des gens de cette planète /il n’y a qu’une forme de voyage possible /c’est de se retrouver sans papiers /dans un pays dont on ignore /la langue et les mœurs.
On se trompe à les accuser /de vouloir changer /la vie des autres /quand ils n’ont /aucune prise /sur leur propre vie.
Si on veut vraiment partir il faut oublier /l’idée même de la valise. /Les choses ne nous appartiennent pas. /On les a accumulées par simple souci de confort. /C’est ce confort qu’il faut questionner /avant de franchir la porte. /On doit comprendre que le minimum de confort/ qu’il faut pour vivre ici en hiver /est une situation rêvée là-bas.
[…]
Je crains qu’un événement si fort soit-il /ne puisse jamais bousculer /un homme dans ses habitudes. /La décision est prise bien longtemps avant /qu’on en ait véritablement conscience /et pour une raison qui nous échappera toujours. /L’instant du départ est si longtemps /inscrit en nous que le moment où il arrive /nous semblera toujours banal.
– Dany Laferrière, L’Énigme du retour
Poètes pour Haiti :
Des poètes du monde entier offrent leurs mots pour venir en aide à la population de
cette île.
http://www.haiti2010-secourspoetique.net/index.html
Pour que vive et résiste la culture haïtienne :
http://www.bibliosansfrontieres.org/
Pour le Peuple de Haïti et à la mémoire de Toussaint-Louverture :
Vaccines*
Orphelines
Vaccines
Peti
Toussaint
A faim
Orphelines
Vaccines
Tipeti
Toussaint
A besoin de soins
Orphelines
Vaccines
Manman
Toussaint
Pour ses enfants
A grand chagrin.
De Anick Roschi
Port-au-Prince le 12.01.10
( * Instrument traditionnel, trompes de bambou utilisées lors des parades de rue . Le nom des vaccines sont, de la plus grande à la plus petite : manman,chalmail,mondesi,peti,tipeti. )
http://www.echosdafrique.net/dossier/memoires/visite-du-chateau-de-joux-ou-fut-emprisonne-jusqu-a-sa-mort-toussaint-louverture.html
http://www.facebook.com/laformiotodidac?v=app_2347471856&ref=profile